Hier, Emmanuel Macron a lu un extrait de la lettre de Henri Fertet, jeune Résistant exécuté. Remarquable choix. Puis Matthieu Gariel m'a communiqué le lien pour prendre connaissance de toute la lettre (cf ci-dessous). Pas un seul mot ne contient une fausse note. Des moments où la mort si proche et incontournable rend la vérité implacable. L'âme humaine devient lumineuse. Tout y juste pour les mots forts comme pour les plus petits détails. La pensée est là sans artifice. Des lettres de combattants de 14-18 avaient une force identique. Eric Conan, un ami de nos études en commun, avait effectué pour L'Express un reportage d'une extrême qualité sur des lettres d'enfants de camps de concentration. Dans des circonstances différentes, j'ai connu une lettre atteignant un tel niveau de qualité : son auteure, une jeune fille prénommée Laurence. Elle a la mucoviscidose. Elle est hospitalisée à Lyon. Elle vient juste de franchir ses 18 ans, donc sa majorité. Elle sait qu'elle est en train de vivre ses dernières heures. Elle écrit une lettre pour sa maman qui vient de quitter l'hôpital pour prendre un peu de repos parce qu'elle est exténuée de la veiller. Laurence sait alors qu'à son retour, elle ne pourra probablement pas reparler à sa maman. C'est la lettre la plus fracassante qui soit. D'optimisme. D'amour. De vérité sur la vie. Marie-Madeleine Rebreyend connait très bien cette situation que nous avions vécue ensemble avec Jean-François, son époux et avec Marie. Quand nous avons construit le Groupe Scolaire, j'ai demandé à ce que cette lettre avec d'autres documents soit dans une stèle sous l'entrée du groupe scolaire. J'avais personnellement veillé à choisir un papier d'une qualité technique le vouant à résister au temps. De telles lettres changent les regards sur l'existence. Elles mériteraient des relectures collectives fréquentes.
La lettre d'Henri Fertet appartient à cette catégorie : pas un mot ne contient une fausse note.
Henri Fertet est arrêté en juillet chez ses parents. Le 18 septembre, il est jugé par un tribunal de guerre allemand. Condamné à mort. Le jour de l’exécution est fixé au 26 septembre. Quand lui et ses compagnons partent pour le peloton d'exécution, ils chantent La Marseillaise. A 07 heures 30, ils sont attachés à des poteaux et exécutés.
Avant, il a écrit une lettre pour ses parents dont voici l'intégralité :
Besançon, prison de la Butte (Doubs) le 26 septembre 1943.
Chers parents,
Ma lettre va vous causer une grande peine, mais je vous ai vus si pleins de courage que, je n’en doute pas, vous voudrez bien encore le garder, ne serait-ce que par amour pour moi.
Vous ne pouvez savoir ce que moralement j’ai souffert dans ma cellule, [ce] que j’ai souffert de ne plus vous voir, de ne plus sentir sur moi votre tendre sollicitude que de loin. Pendant ces quatre-vingt-sept jours de cellule, votre amour m’a manqué plus que vos colis et, souvent, je vous ai demandé de me pardonner le mal que je vous ai fait, tout le mal que je vous ai fait. Vous ne pouvez douter de ce que je vous aime aujourd’hui, car avant, je vous aimais par routine plutôt mais, maintenant, je comprends tout ce que vous avez fait pour moi. Je crois être arrivé à l’amour filial véritable, au vrai amour filial. Peut-être, après la guerre, un camarade parlera-t-il de moi, de cet amour que je lui ai communiqué ; j’espère qu’il ne faillira point à cette mission désormais sacrée.
Remerciez toutes les personnes qui se sont intéressées à moi, et particulièrement mes plus proches parents et amis, dites-leur toute ma confiance en la France éternelle. Embrassez très fort mes grands-parents, mes oncles, mes tantes et cousins, Henriette. Dites à M. le Curé que je pense aussi particulièrement à lui et aux siens. Je remercie Monseigneur du grand honneur qu’il m’a fait, honneur dont, je crois, je me suis montré digne. Je salue aussi en tombant mes camarades du lycée. À ce propos, Hennemay me doit un paquet de cigarettes, Jacquin, mon livre sur les hommes préhistoriques. Rendez le “Comte de Monte-Cristo” à Emeurgeon, 3, chemin Français, derrière la gare. Donnez à Maurice Andrey de La Maltournée, 40 grammes de tabac que je lui dois.
Je lègue ma petite bibliothèque à Pierre, mes livres de classe à mon cher Papa, mes collections à ma chère maman, mais qu’elle se méfie de la hache préhistorique et du fourreau d’épée gaulois.
Je meurs pour ma patrie, je veux une France libre et des Français heureux, non pas une France orgueilleuse et première nation du monde, mais une France travailleuse, laborieuse et honnête.
Que les Français soient heureux, voilà l’essentiel. Dans la vie, il faut savoir cueillir le bonheur.
Pour moi, ne vous faites pas de soucis, je garde mon courage et ma belle humeur jusqu’au bout et je chanterai “Sambre et Meuse” parce que c’est toi, ma chère petite maman, qui me l’a appris.
Avec Pierre, soyez sévères et tendres. Vérifiez son travail et forcez-le à travailler. N’admettez pas de négligence. Il doit se montrer digne de moi. Sur les “trois petits nègres”, il en reste un. Il doit réussir.
Les soldats viennent me chercher. Je hâte le pas. Mon écriture est peut-être tremblée, mais c’est parce que j’ai un petit crayon. Je n’ai pas peur de la mort, j’ai la conscience tellement tranquille.
Papa, je t’en supplie, prie, songe que si je meurs, c’est pour mon bien. Quelle mort sera plus honorable pour moi ? Je meurs volontairement pour ma Patrie. Nous nous retrouverons bientôt tous les quatre, bientôt au ciel. Qu’est-ce que cent ans ?
Maman rappelle-toi : “Et ces vengeurs auront de nouveaux défenseurs Qui, après leur mort, auront des successeurs.”
Adieu, la mort m’appelle, je ne veux ni bandeau, ni être attaché. Je vous embrasse tous. C’est dur quand même de mourir.
Mille baisers. Vive la France. Un condamné à mort de 16 ans.
H. Fertet.
Excusez les fautes d’orthographe, pas le temps de relire.
Expéditeur : Monsieur Henri Fertet, au ciel, près de Dieu.
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